INTERVIEW DE MARC STEVANIN


Lauréat du Prix HEIG Tech Grant 2021

« Le but du projet Vineatrac est de solutionner une problématique de la viticulture, en développant un véhicule autonome pour soulager le vigneron dans ses travaux mécanisés en remplaçant le tracteur viticole et son conducteur. » 


Le 14.06.2021

Quel a été votre parcours jusqu’ici ?

Mon parcours a débuté par une formation d’une année à l’École ESPERA Sbarro, une école de formation aux techniques de l'automobile. Par ailleurs, nous avions présenté un prototype automobile au Salon de l’Auto de Genève à l’époque.

Mes études se sont ensuite poursuivies à la HEIG-VD avec un Bachelor Génie électrique, orientation électronique embarquée et mécatronique et un Master HES-SO en mécatronique. Mon travail de Master s’est achevé au sein de l’entreprise Liebherr Machines Bulle SA, qui produit de puissants moteurs et des composants hydrauliques robustes, entreprise pour laquelle j’ai travaillé de 2016 à 2020.

En mars 2020, j’ai commencé à travailler à la HEIG-VD pour l’Institut d’Automatisation Industrielle (IAI), avec le Professeur Maurizio Tognolini qui me suivait déjà durant mon travail de Master. Actuellement je partage mon temps entre mes activités de Ra&D au sein de l’institut IAI et mon projet entrepreneurial.

Cette expérience d’étude learning by doing m’a apporté la dimension pratique.  Je voyais une utilité à tout ce que j’apprenais, il y avait une vraie application derrière. Depuis tout petit, j’adore bricoler et suis passionné par tout ce qui est lié à la motorisation. De plus, j’apprends en autodidacte.

 

En quoi consiste le projet Vineatrac ?

Le but du projet Vineatrac est de solutionner une problématique de la viticulture, en développant un véhicule autonome pour soulager le vigneron dans ses travaux mécanisés en remplaçant le tracteur viticole et son conducteur.

 

Pouvez-vous en dire plus ?

Une bonne partie des tâches de la viticulture sont des travaux mécanisés. Pour ce faire, le vigneron travaille essentiellement avec un tracteur viticole. Il permet de se déplacer dans les vignes et de tracter des machines spéciales telles qu’un pulvérisateur de produits antifongiques par exemple.

Le véhicule que je conçois remplace, à termes, ce tracteur en effectuant lui-même ces tâches mécanisées. Il apporte plusieurs avantages :

  • éviter le contact et l’inhalation des produits, biologiques ou non, pulvérisés sur les vignes.
  • diminuer les risques d’accidents lorsque le terrain est mouillé donc glissant pour les domaines qui sont en pente. 
  • économiser du temps donc de l’argent. Le temps que le vigneron ne passe pas sur le tracteur viticole lui permet de travailler sur d’autres tâches à plus grande valeur ajoutée.
  • combler le problème de pénurie de main-d’œuvre qualifiée à laquelle la viticulture fait face actuellement.

 

Vous parlez de produits de pulvérisation biologiques ; votre projet offre-t’il un avantage particulier pour les viticultures bio ?

Oui, il en offre même plusieurs.

Pour bien comprendre le contexte, il faut savoir que dans le cadre des produits de synthèse – non biologiques – une pulvérisation tous les 14 jours suffit car le produit pénètre le système de la plante. Or, les produits biologiques – dit de contact – sont lessivables car non pénétrant. Ce qui veut dire qu’en cas de pluie, il faut à nouveau pulvériser le produit. Dans ce cas, le véhicule autonome va offrir un gain de temps considérable au vigneron !

D’autre part, qui dit pulvérisation après les pluies, dit danger plus important lorsque le vignoble est en pente. Le terrain est trempé, boueux et donc glissant.

Le véhicule que je développe est doté d’un système de chenilles qui est beaucoup plus stable, plus adhérent et qui a une très bonne motricité.

Comment vous est venue cette idée et à quel moment ?

Je baigne depuis mon enfance dans le monde viticole ! Mon oncle est vigneron, j’allais souvent l’aider.

Aujourd’hui, je suis marié à une vigneronne. Après ses études à La Haute École de Changins, elle a repris le domaine familial à Mathod en 2017. Vu que je suis ingénieur, j’ai réfléchi à différentes solutions pour soulager son quotidien.

J’en suis arrivée à cette idée de concevoir ce véhicule autonome. C’est LA solution la plus prometteuse actuellement car elle répond à un vrai besoin métier. Besoin que j’ai pu valider dans le cadre de nombreux entretiens avec d’autres vignerons romands.

De plus, j’ai toujours eu en tête de travailler à mon compte. Déjà lors de mes études à l’École ESPERA Sbarro, j’avais l’envie d’entreprendre mais j’étais encore trop jeune et il me manquait encore de l’expérience métier.

 

Mettre mes compétences d’ingénieur au profit d’une problématique à laquelle je vois les vignerons confrontés au quotidien était une évidence.

 

En quoi la HEIG-VD vous soutient-elle dans ce projet ?

L’obtention du Prix HEIG Tech Grant me permet clairement d’accélérer le développement de mon projet, tant d’un point de vue technique que business.

Avant de postuler au Prix, j’ai été guidé dans la marche à suivre et j’ai notamment suivi le cours Business Concept qui m’a permis de démontrer le potentiel commercial de mon projet en effectuant une étude de marché auprès de futurs utilisateurs. Ceci m’a permis de démontrer le potentiel de ma solution et l’intérêt avéré pour un tel véhicule.

J’ai souvent entendu de la part des vignerons : « Avec ça, on peut faire du bio ! »

 

Avez-vous trouvé les ressources nécessaires à la Haute Ecole (technique, humain, etc.) ?

Oui, avec l’équipe d’Innovation & Entrepreneuriat de la HEIG-VD, et avec le Prix, je vais bénéficier d’un coaching pour tous les aspects entrepreneuriaux.

Et dans le cadre de ce Prix, j’ai obtenu un contrat qui me permet de travailler à 50% pour l’institut et à 50% pour mon projet pour une durée maximale de 2 ans.

D’un point de vue technique, pour toute la partie électronique, mécatronique, programmation, les professeurs, collaborateurs et collaboratrices de l’institut sont toujours là lorsque j’ai des questions. Et les compétences en interne sont excellentes.

À quel stade de développement en êtes-vous actuellement ?

J’en suis au prototype B, c’est-à-dire que j’ai aujourd’hui un véhicule autonome fonctionnel qui répond au défi de faisabilité de la conduite autonome dans un vignoble.

Je reste encore sur le terrain pour contrôler mais il arrive déjà à descendre une ligne complète, faire demi-tour et remonter une autre ligne sans assistance.

Quelle est son autonomie ?

Il est doté d’un moteur thermique à essence qui ne nécessite pas une forte puissance. Et donc, il consomme peu et pollue peu. À ce rythme de travail, relativement faible à cette vitesse, les limites sont plus liées au besoin de remplissage des réservoirs ou parce qu’il a terminé le travail sur le domaine par exemple.

Mais pour donner un ordre d’idée, à l’heure actuelle, il peut travailler pendant 3 ou 4 heures non-stop.

 

Quelles sont les étapes à venir et à franchir ?

Cette année, je me concentre sur la partie technique, pour explorer toutes les fonctionnalités possibles à implémenter sur le prototype B d’ici à la fin de l’été.

Ensuite, je m’attaque à la réalisation d’un prototype C pour que d’ici la fin de l’année 2021, j’ai idéalement finalisé le concept et en partie construit cette nouvelle version.

Quelle est la différence entre les prototypes B et C ?

Une meilleure robustesse, une meilleure adaptation au terrain et un meilleur design. Le but est de pouvoir faire des démonstrations à des futur-e-s client-e-s avec un concept quasi fini.

 

Et d’un point de vue purement entrepreneurial ?

J’ai déjà entamé la discussion avec quelques partenaires pour la réalisation du prototype C. Quelques entreprises du monde viticole sont intéressées à suivre le projet. La Haute Ecole de Changins a également exprimé un certain intérêt pour mon projet.

 

En parallèle du développement de ce projet, j’ai collaboré de 2020 à 2021 avec une équipe d’étudiant-e-s dans le cadre de la formation MSc HES-SO Innokick. Ces derniers ont imaginé un projet d’innovation très prometteur pour faciliter le travail des vignerons qui s’intégrera très bien dans mon futur portfolio et me permettra de diversifier mes activités. Comme vous pouvez le constater je ne peux pas m’empêcher d’entreprendre.

 

Marc Stevanin, comment vous voyez-vous dans deux ans ?

D’ici deux ans, les défis techniques auront surement tous été relevés me permettant de proposer aux vignerons la solution dont ils ont besoin, et donc livrer les premiers intéressés. La société aura été créée avec une équipe plus grande. Connaissant ma passion pour la technique et les défis, en plus d’une amélioration continue sur le produit Vineatrac, je compte explorer de nouvelles solutions pour le marché viticole sans pour autant exclure les marchés assimilables comme l’arboriculture.